Je voudrais vous confier notre amie Mauricette, une femme étonnante, qui vit seule à Hyères.
Du fond de sa maladie, Mauricette me fait penser à un prophète des temps modernes et particulièrement un prophète de la Présence et de la Compassion. C’est une femme très distinguée, qui a une allure et une classe remarquables malgré une démarche hésitante et une élocution rendue difficile.
Lorsqu’elle s’approche de l’une de nous à la fin de la messe, elle nous lance comme un cri : « Vous pourriez passer me voir cet après-midi, je suis en crise religieuse ! ». Sa demande n’est pas pour le lendemain ni pour plus tard, c’est toujours pour « cet après-midi ». De fait, elle s’inquiète des fluctuations de sa foi qui semble toujours lui échapper, car « je suis allée à la plage cet été, pas à la messe » ou qui s’évanouit car les « cathos sont trop froids ».
Il est certain qu’une partie de son psychisme est dans la confusion, mais pourtant, elle a des illuminations du cœur assez frappantes. Alors que j’étais allée lui rendre visite elle me lance : « Pourquoi est-ce que tu viens perdre deux heures avec moi ? » Je lui réponds que c’est bon de passer du temps avec des amis, ce qui me vaut un regard et un sourire silencieux d’où jaillissent un « c’est vrai », suivi d’un « je suis très seule, je crois que je n’attire pas les gens. » Silence.
Pourtant auprès d’elle, il fait bon être, il fait bon rire, parler de choses profondes, puis de tout et de rien.
Elle m’explique ensuite que pour pouvoir marcher un peu en ville en étant soutenue, elle a trouvé une jeune femme qui moyennant finances lui sert d’accompagnatrice. « Tu sais, parfois je suis fatiguée, mais elle élève seule sa fille alors j’y vais, je ne veux pas la laisser tomber ». Il est vrai qu’auprès d’elle je me suis parfois demandé qui aidait qui ?
Puis soudain elle se souvient qu’elle a confectionné une croix en plâtre qui s’est brisé : « Est-ce que tu pourrais la recoller ? ». En la quittant, petite croix peinte cassée en main, je me dis que c’est avec la même simplicité qu’elle me confie son cœur à recoller, sa vie, ses souvenirs, sa famille éparse, les aspirations qu’elle porte et qui s’entrechoquent en elle : « Je voudrais faire quelque chose de ma vie, aider les gens, mais je suis seule … ».